Chêne rouge d’Amérique : une essence productive au prix de la biodiversité
Dans l’imaginaire collectif, le chêne de référence en France est le chêne pédonculé qui n’est qu’une espèce parmi tant d’autres. On trouve aussi le chêne sessile, le chêne pédonculé, le chêne vert, le chêne liège… et également le chêne rouge d’Amérique (Quercus rubra, son nom latin). Cette essence s’adapte facilement aux sols acides et humides. Le manque d’eau lui est fatal lors des sécheresses. De-là, il ne tolère pas le climat méditerranéen. S’ajoute à cela sa fragilité aux gelées tardives et à la neige réduisant le choix d’un lieu d’implantation. Comme tout être vivant, ce chêne est accompagné de son lot de pathogènes. Le principal est le Phytophthora cinnamomi, champignon subtropical, qui fait des ravages aussi chez les châtaigniers. Les symptômes sont des nécroses racinaires et des suintements au niveau du tronc.
Son introduction pour la sylviculture
Originaire d’Amérique de l’Est, le chêne rouge d’Amérique est une espèce exogène, non originaire de l’habitat où elle est introduite. En revanche, le chêne pédonculé est une espèce indigène originaire de la région.
Le chêne rouge d’Amérique a été introduit en Europe dès le 17e siècle, principalement pour ses qualités esthétiques en raison de son feuillage rouge automnale. Depuis une trentaine d’années, cette essence est recherchée par les forestiers en raison de sa croissance rapide, plus rapide que nos chênes européens. En France, il est surtout implanté dans les régions du Nord-Est, du Centre et du Sud-Ouest. Exploité majoritairement en peuplement monospécifique, le chêne rouge est aussi présent dans des forêts de résineux et de feuillus.
Une biodiversité chamboulée
Son feuillage très dense laisse peu passer la lumière, empêchant les autres plantes de se développer hormis les jeunes pousses de chêne rouge, tolérantes à l’ombre. Ces jeunes pousses grandissent très rapidement ce qui ne laisse peu de chance aux autres arbres de s’établir. Le manque de prédation facilite leur croissance car les mammifères herbivores d’Europe portent peu d’intérêt aux jeunes plantules et aux glands de l’espèce. En Amérique, son lieu d’origine, la prédation est plus forte car les herbivores sont adaptés à cet arbre. Pour toutes ces raisons, la capacité de régénération du chêne rouge est particulièrement forte.
Jusqu’à présent, aucune étude n’a permis de savoir si le chêne rouge concurrence les arbres natifs pour la ressource hydrique. En revanche, nous savons que la compétition pour la lumière du chêne rouge à l’égard des autres arbres entraîne une baisse de biodiversité de l’écosystème. Cette diminution s’exprime par une baisse de diversité et d’abondance des végétaux natifs. Dans la nature, tout est lié, c’est pourquoi moins de plantes et d’arbres signifie moins de faune. Les animaux ne sont pas adaptés à cohabiter avec cette espèce exogène. A terme, si les chênes rouges s’étendent sur de plus grandes surfaces, la biodiversité pourrait être déséquilibrée à l’échelle des forêts.
Les effets négatifs ne s’arrêtent pas là. Une étude de Riepšas et Straigyte (2008) a démontré que le chêne rouge est capable de modifier la composition biologique et les propriétés chimiques du sol. Le sol contient moins de microorganismes et de minéraux contrairement au sol où un chêne pédonculé est implanté.
Un caractère invasif soupçonné
Le chêne rouge s’accapare les ressources, sa compétition impacte surtout le chêne sessile, le chêne blanc et le chêne pédonculé. Sa capacité de colonisation est connue par les forestiers, ce n’est pas pour autant que sa plantation est stoppée, voire limitée.
Présent dans de nombreux pays européens, le chêne rouge est classé invasif en Allemagne, en Belgique, en République Tchèque, en Pologne et en Lituanie. En France, dans certains lieux, le chêne rouge d’Amérique pourrait être considéré comme invasif. C’est notamment le cas dans les départements du Doubs et de Saône-et-Loire où l’EPTB (Établissement Public Territorial de Bassin) lutte contre la prolifération de cet arbre. Pourtant, l’espèce n’est pas classée comme invasive en France. La très probable raison est liée aux intérêts économiques de l’exploitation de son bois conjugués au manque de connaissances sur son risque de prolifération. En effet, peu de recherches s’intéressent au problème relatif aux arbres invasifs, contrairement aux études menées sur les plantes invasives. Ce constat s’explique par le fait qu’il est plus facile d’étudier les comportements invasifs des plantes que ceux des arbres en raison de la lenteur de leur croissance.
Pour l’instant, bien qu’aucune réglementation ne limite l’utilisation du chêne rouge d’Amérique, les scientifiques (Université de Bordeaux et Université de Liège) préconisent de limiter son implantation et de favoriser celle des essences locales.